Le débat
La question qui nous préoccupe dans ce blog est celle de la protection et de la garantie des droits individuels en France. C’est un débat dans lequel deux thèses s’opposent :
La thèse officielle :
On doit retenir comme lois constitutionnelles, non seulement les dispositions formelles de la Constitution du 4 octobre 1958 sur les attributions du Président de la République, du Gouvernement, du Parlement, sur les traités internationaux, sur le Conseil constitutionnel, sur l’autorité judiciaire, mais également tous les principes formulés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 complétée par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Les libertés essentielles constituent des principes généraux du droit et leur sauvegarde intéresse au plus haut point l’ordre public. Il en est ainsi de la liberté individuelle (Déclaration des Droits de 1789, art. 7), sous réserve des dispositions limitativement précisées par le Code de procédure pénale ; de la liberté de conscience et de la liberté des cultes (Déclaration des Droits, art. 10) ; de la liberté de réunion et de la liberté syndicale (Préambule de la Constitution de 1946) ; de la liberté d’expression de la pensée et de la liberté de la presse ; de l’égalité de l’homme et de la femme dans l’exercice des droits politiques et des droits civils (Préambule de la Constitution de 1946) ; de l’égalité du citoyen devant les charges publiques (Déclaration des Droits, art. 13) ; de l’existence du droit de propriété (Déclaration des Droits, art. 17).
La protection de ces droits individuels résulte de l’application par les tribunaux des principes généraux du droit. Le Conseil d’Etat en reconnaît l’existence, notamment à propos des libertés individuelles (liberté de conscience, liberté d’opinion, liberté d’activité professionnelle dans la mesure où celle-ci n’est pas limitée par une loi, liberté d’association, liberté syndicale). La Cour de cassation en fait aussi application mais elle arrive généralement à les rattacher à un texte. La plupart de ces principes sont formulés en termes généraux par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 ou par le préambule de la Constitution de 1946 ; la jurisprudence ne fait que les préciser en les appliquant aux litiges qui lui sont soumis.
On cite souvent un arrêt du 4 décembre 1929 (D.H. 1930, 50) comme énonçant une règle d’ordre public sans référence à un texte précis : il s’agissait d’un contrat conclu entre un médecin et un agent de publicité, portant sur des remèdes propres à guérir toutes les maladies et sur la publicité à faire pour diffuser ces remèdes ; ce contrat est annulé parce qu’il a « pour objet l’exploitation des malades par l’emploi d’une publicité intense et des qualificatifs destinés à impressionner le public » ; l’arrêt ajoute « il résulte de l’article 1133 que la cause est illicite quand elle est contraire à l’ordre public sans qu’il soit nécessaire qu’elle soit prohibée par la loi » ; cela veut dire que les deux membres de phrase de l’article 1133 séparés par une virgule, sont distincts l’un de l’autre, et qu’il peut exister une atteinte à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, en dehors du cas où la cause est prohibée par la loi ; or, il n’existe pas en l’espèce de loi spéciale prohibitive ; l’article 1133 intervient à titre de moyens techniques de portée générale ; il autorise le juge à l’annulation du contrat considéré par lui comme contraire à l’ordre public et aux bonnes moeurs, et comme tel, entaché de cause illicite ; mais il faut une appréciation du juge pour dire si le contrat est ou non contraire à l’ordre public. Et cela peut se faire, même s’il n’y a pas en l’espèce de texte spécial et précis pour imposer l’existence d’une règle d’ordre public.
En outre, les Droits de l’Homme sont protégés en France par le canal de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés Fondamentales qui doit être respectée par les cour et tribunaux en vertu de l’artice 55 de la Constitution.
La thèse opposée :
Le préambule de la constitution n’est pas la constitution et il ne lie pas les tribunaux et cours d’appel. Leurs décisions sont seulement soumies au contrôle de la légalité exercé par la cour de cassation qui vérifie a posteriori qu’elles ne violent pas les conventions internationales signées par la France dont la force obligatoire résulte de l’articme 55 de la constitution. Contrairement à la plupart des constitutions de pays étrangers, la constitution française de 1958 ne contient pas la liste ni la définition des Droits de l’Homme et surtout elle n’accorde aucune garantie qu’ils seront bien respectés. D’où il suit qu’ils ne sont pas reconnus ni garantis constitutionnellement.
De ce fait les Droits de l’Homme ne font pas formellement l’objet d’une protection systématique en France où ils s’appliqueraient « d’eux-mêmes ». Dans ses observations adressées à la France le 25 avril 1994, le Comité pour les Droits de l’Enfant (Committee for Rights of Children – C.A.C.) avait exposé (paragraphe 12) parmi ses principaux sujets de préoccupation que le plupart des documents soumis par la France aux organismes du Traité visaient l’article 55 de la constitution dont il résulte que la norme des textes internationaux relatifs aux Droits de l’Homme est en soi applicable en France ( » self executing « ) et peut être invoquée devant les tribunaux français.
De fait, devant le Comité des Droits de l’Homme (Committee for Human Rights) dans l’affaire N° 550/1993 du 18/12/1999 (paragraphe 4.4), le gouvernement français avait exposé que la Cour de cassation vérifie si la loi a été correctement appliquée et peut donc constater une violation dont le » Pacte » fait partie intégrante et fait valoir que depuis un arrêt du 24 mai 1975, la Cour de cassation écarte l’application de la loi interne contraire à un traité international.
» Attendu que le traité du 25 mars 1957, qui, en vertu de l’article susvisé de la constitution (l’article 55), a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre intégré à celui des Etats Membres, qu’en raison de cette spécificité, l’ordre juridique qu’il a créé est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s’impose à leurs juridictions… « .
Voilà qui est vrai : un ordre juridique propre intégré à celui de la France et directement applicable aux Français.
Ce blog ne demande pas autre chose en posant la question : si on le dit et que cela est vrai, pourquoi ne pas l’inscrire dans les tables de la loi ? Dans l’état actuel, en l’absence d’un texte écrit, la France en est réduite à alléguer devant l’ONU que les droits individuels « en eux-mêmes » sans être assortis d’une sanction gouvernementale.
Les Français sont bien en droit de l’exiger et qu’il soit mis fin à ce faux débat franco-français. L’Etat ne peut rester passif et il lui appartient de faire respecter les Droits de l’Homme.
Christian Lesecq